L’aspérité, ou le nouvel enjeu vital du Luxe

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Dans l’univers du luxe actuel, un mot dérange, inattendu, presque incongru : l’aspérité. C’est pourtant lui qui, demain, distinguera les marques appelées à rayonner de celles promises à l’oubli. Car qu’est-ce qu’une marque de luxe sans aspérité, sinon une campagne savamment huilée mais vidée de sens ? Une promesse trop lisse, sans nerf, sans chair — une rhétorique qui ne laisse aucune trace.

L’aspérité d’une marque, c’est ce grain qui accroche, ce relief qui empêche l’oubli. Un détail rugueux, parfois dérangeant, qui offre à la marque son épaisseur et son souffle. Avec elle, la marque devient singulière, humaine, vivante — elle parle avec sa voix propre et non avec l’écho des autres. Elle crée l’émotion et signe la différence. Or que voyons-nous aujourd’hui ? Une accélération de l’effacement, un lissage méthodique qui, sous prétexte d’universalité, stérilise tout élan vivant. L’acte de poncer — celui qui, dans l’artisanat, vient parfaire la matière en supprimant les irrégularités — est devenu une métaphore de notre époque. Tout doit être lisse, tout doit être neutre, tout doit parler à tout le monde. Et ce faisant, plus rien ne dit rien à personne.

Les voix du secteur elles-mêmes s’élèvent car on sent bien qu’il faut changer quelque chose. Eric Briones, directeur du Journal du Luxe, appelle à passer « d’un luxe de désirabilité à un luxe de résonance ». Jean‑Louis Kapferer décrit un « problème existentiel » que l’industrie doit affronter. Mais la réponse, à mes yeux, est là depuis toujours : remettre l’aspérité au cœur du récit. Un luxe sans faille — sans humanité — n’est qu’un mirage. Le vrai luxe a toujours été celui qui ose, qui tranche, qui engage.

Et pourtant, combien de fois ai-je entendu dans des briefs cette phrase désolante : « Nous voulons la même stratégie qu’Hermès. » Mais Hermès n’existe qu’en étant Hermès. Vouloir appliquer sa recette ailleurs est une absurdité. L’imitation est stérile, la singularité est féconde. Le courage de paraître tel qu’on est, voilà l’acte fondateur. Auriez-vous donc peur d’être vus pour ce que vous êtes vraiment ? Demain, les vainqueurs ne seront pas ceux qui auront cherché à séduire tout le monde, mais ceux qui auront accepté de déplaire à certains pour toucher profondément d’autres. Les marques trop lisses disparaîtront dans le bruit de fond des tendances jetables. Les autres, celles qui accepteront l’imperfection, la rugosité, l’excès parfois (Benetton et ses ‘United colors’, Gucci et le pubis rasé de la mannequin Louise Pedersen sur un shooting…) marqueront durablement les esprits.

Le luxe de demain se gagnera sur un paradoxe : oser l’imperfection, l’aspérité, pour atteindre l’immuable.

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