Depuis plus de vingt ans, chaque automne m’entraîne, comme par fidélité à une liturgie laïque, vers deux villes que tout pourrait opposer et que le vin réunit : Trèves et Beaune. Deux noms chargés d’histoire, deux ventes aux enchères (chacune étant un moment clé de l’année pour la filière) qui ne se ressemblent guère mais qui se font miroirs d’une même ferveur : celle d’un humanisme enraciné dans la vigne. L’une, bordée par la Moselle, porte dans son silence romain l’esprit de la grandeur passée ; l’autre, au cœur de la Bourgogne, fait vibrer les pierres de son Hôtel-Dieu où le vin, depuis le XVe siècle, est devenu compassion et héritage à la fois. Deux ventes (deux célébrations, devrais je écrire), deux rituels, un seul langage : celui du vin comme témoignage vivant de la beauté du monde. Et un message rassurant : le vin est l’expression d’une civilisation qui croit encore en la beauté du geste et à la vérité du goût.
À Trèves*, la Moselle déroule son ruban d’ardoise et de pierre, où le riesling trouve depuis des siècles un accent d’éternité. Cette vente, discrète mais cultivée, est un hommage au patrimoine viticole allemand autant qu’à la patience des hommes qui le servent. Elle rappelle que l’Europe du vin ne se mesure pas à la puissance du marché, mais à la profondeur de ses racines. Dans l’ombre des basiliques romaines et des collines schisteuses, on célèbre le vin comme un héritage spirituel autant que sensoriel. Trèves, c’est la mémoire qui fermente encore.
À Beaune**, la ferveur prend un autre visage. Depuis 1443, la vente des Hospices est un acte de charité devenu un rite mondial : celui d’une Bourgogne qui lie le goût à la grâce. Les tonneaux mis aux enchères ne sont pas seulement des cuvées, mais des fragments d’histoire, portant le nom de ceux qui ont donné pour servir les autres. Là, le vin finance les hôpitaux, soigne les corps comme il nourrit les âmes. Il dit la dignité d’une France capable de transformer la vigne en vertu, la vendange en espérance.
J’y retourne chaque année parce que ces moments cristallisent ce que le monde oublie : le vin n’est pas un bien de consommation comme un autre, c’est un patrimoine vivant. Il unit la nature et la culture, le temps et la main, le geste et la mémoire. C’est une œuvre collective où l’homme converse avec le sol depuis des millénaires. Cette conversation, personne ne peut la traduire, car elle n’appartient à aucune langue — elle est la langue.
Dans un monde qui uniformise tout, le vin reste l’un de ces rares idiomes que les civilisations partagent sans se copier. À Trèves comme à Beaune, je retrouve cette musique silencieuse des terroirs, cet accent que nul n’imite sans le trahir. Y aller, c’est résister à l’oubli, c’est célébrer la lenteur, la patience et la transmission. Car au fond, le vin ne s’achète pas : il se comprend, il s’écoute, il se vit.
*La Vente aux Enchères 2025 de Trèves se déroule vendredi 7 novembre
** La Vente des Hospices de Beaune 2025 se déroule dimanche 16 novembre
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