Jamais les vins n’ont eu cette élégance, cette précision, cette profondeur. Pourtant jamais le doute n’a été aussi oppressant. C’est le paradoxe d’une époque où les bouteilles n’ont jamais autant mérité d’être bues, mais où le désir de les boire semble s’éteindre, lentement, comme une flamme qui vacille. En France, Bordeaux doute de tout, jusqu’à son système des primeurs, et derrière lui, c’est toute une civilisation du vin qui se demande si elle a encore un avenir. Il est des moments dans l’histoire où le réel chancelle. Au début des années 2000, Internet s’effondrait. Ses entreprises s’évaporaient comme des mirages du désert, et les prophètes annonçaient la mort d’un rêve. Puis vint la revanche: Amazon, rescapé des ruines, bâtit son empire, et derrière lui, d’autres horizons s’ouvrirent (Google, Facebook…). Le vin vit ce même vertige aujourd’hui. Le point de bascule est proche, les cartes vont être rebattues.
Là où certains ne voient qu’un déclin, d’autres discerneront un champ d’opportunités. Certes, des acteurs historiques disparaîtront — par lassitude, par fragilité, ou faute d’avoir su s’adapter. Mais alors s’ouvriront des brèches, par où passeront ceux qui savent innover, surprendre, raconter autrement le vin. Car c’est bien là le cœur du sujet: le goût, aussi parfait soit-il, ne suffit plus. Hier, on buvait un cru pour sa noblesse; demain, on le boira pour le récit qu’il incarne, pour l’émotion que la marque aura su distiller.
Si le vin se fait rare dans les restaurants, ce n’est pas que les convives s’en sont détournés par principe, mais parce qu’il s’est installé dans une tour d’ivoire tarifaire. Si la jeunesse détourne le regard, ce n’est pas qu’elle rejette le vin, mais parce qu’elle réclame du jeu, de la légèreté, une part de liberté que le vin peine à délivrer. Ne nous y trompons pas: ceux qui attendent que la nuit passe en seront réduits à contempler l’aube depuis les marges. Les vrais acteurs de demain travaillent déjà à réinventer l’identité de leur domaine, à bâtir des marques capables de voyager à travers le monde comme des phares culturels, au-delà du simple liquide. Car le vin n’est plus seulement une boisson: il est récit, imaginaire, projection.
Alors oui, il y aura des disparus, des faillites, des consolidations. Mais il y aura surtout des renaissances. Le vin entre dans une ère où l’esprit d’entreprise rejoindra l’art du vigneron, où l’innovation comptera autant que la tradition, et où la marque sera souvent plus forte que le terroir. Les sceptiques y verront une menace. Les esprits contrariants, eux, y reconnaîtront le plus bel horizon pour leur réussite: celui de redonner au vin non pas le goût — qui est déjà là — mais l’envie.
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