Il y a dix ans déjà, un billet que j’avais publié vous avait beaucoup fait réagir : « Vin = Sexe : Fini la performance, vive le plaisir ! »
Le monde du vin, disais-je, devait se libérer de l’obsession du score pour renouer avec l’émotion, la lenteur, la sensualité même du plaisir partagé. Dix ans plus tard, le constat n’a jamais été aussi actuel.
Aujourd’hui, l’univers du luxe tout entier se trouve à la croisée des chemins. Dans la cosmétique, la haute horlogerie, les cigares ou le vin, la performance technique – celle des molécules, des microprocesseurs ou des barriques (voir la nouvelle innovation de Champagne Henri Giraud avec ses fonds révolutionnaires en céramique) – impressionne, sans toujours émouvoir. On peut bien lire qu’un sérum à quinze euros « surpasse » cent cinquante crèmes, comme le prétendent certains articles ; mais croire que la science pourra un jour remplacer le désir relèverait d’une méprise. Car dans le luxe, la science n’est qu’un maillon, certes de plus en plus sophistiqué, mais jamais le cœur battant de la séduction.
Est-ce qu’un vin à quinze euros sera meilleur qu’un flacon vendu cent ? Est-ce qu’une crème abordable effacera le prestige d’une formule signée Dior ? Les experts pourront bien débattre, mais la réponse réside ailleurs : dans le regard de celui ou celle qui achète. ‘Beauty is in the eyes of the beholder’ comme disent les anglo-saxons. Tout l’art du branding de luxe consiste précisément à comprendre cette âme sensible, à parler à sa psychologie plus qu’à sa raison.
La cliente contemporaine navigue librement entre un produit de pharmacie et une crème d’exception, entre une « Vieille Ferme » (le fameux ‘Chicken wine’) chez Monoprix et un Champagne Taittinger millésimé au restaurant. Elle alterne selon les instants, selon l’humeur, mais l’émotion reste la boussole. La science explique, la performance rassure ; mais c’est le cœur qui décide. Et quand vient ce moment d’évasion, ce désir d’élévation, la puissance du symbole et du récit reprend ses droits.
Les grandes marques de luxe le savent : elles ne vendent pas qu’une efficacité mesurable, mais un supplément d’âme, un espace intime où le plaisir et le prestige se confondent. Leur force n’est pas d’être parfaites, mais d’être désirées. De déclencher un battement de cœur. De rappeler que, dans nos vies trop rapides, trop mesurées, il reste des instants qui s’échappent à toute logique. Comme un grand vin de Haut Brion, un vrai parfum de Xerjoff ou un sourire sincère : ils ne se comparent pas, ils se ressentent. Dans un monde saturé de données et de comparatifs, l’émotion demeure le dernier territoire du rare – et c’est là, encore et toujours, que se joue l’avenir du luxe.
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