Claude Giraud, président de la Maison de Champagne Henri Giraud et représentant de la 12ème génération du domaine familial, revient sur la vendange 2018.
Les vendanges sont annoncées comme exceptionnelles. Qu’en pensez-vous ?
Claude Giraud: « Les grandes années ne s’annoncent pas, elles arrivent à point nommé à l’image de cette campagne : il a fait froid quand il le fallait, il a plu quand il le fallait et le soleil s’est montré juste au bon moment. C’est en cela que la vendange 2018 est exceptionnelle. L’état sanitaire était plus que parfait et nous avons pu attendre la maturité polyphénolique (le moment où la maturité des tanins recoupe l’évolution sucre/acide) pour cueillir ces grappes à la peau épaisse et aromatique. Le millésime se fera sur la matière ce qui va déconcerter plus d’un producteur champenois. Au Domaine Henri Giraud nous avons l’habitude de travailler sur ces tanins soyeux et aromatiques mais il faut rester humble : la vendange ne vaut que sur le pressoir et le vin quand il est tiré. »
On parle d’une quantité très importante de raisin. Comment gère-t-on cela?
Claude Giraud: « Pour la Champagne, ma référence quantité est 1970 où péniches sur la Marne et Château d’Eau ont été réquisitionnés pour faire de la place en cuverie. Au Domaine, cette poussée de fièvre nous a servi de leçon : avec mon père, au moment de renouveler nos parcelles, nous n’avons pas fait le choix des clones productifs qui ont envahi le vignoble champenois, il y a 40 ans. De plus, le terroir d’Aÿ assis sur 200 mètres de craie franche est naturellement pauvre, nous y avons donc privilégié les petits pinots à faible rendement et j’ai laissé notre vignoble prendre de la maturité ce qui explique nos volumes raisonnables même dans une année comme 2018. Nous n’avons donc pas ce problème de très gros volume à gérer car nous avons toujours privilégié la qualité. »
Comment abordez-vous la vinification de ce que tout le monde s’accorde à appeler un très grand millésime ?
Claude Giraud: « À vendanges exceptionnelles, engagement exceptionnel. La définition du point de maturité de l’année était LE point clé, tout comme le parcours de cueillette. Puis le fractionnement du pressurage à la dégustation. Et ensuite plus aucune intervention suivant en cela le vieil adage : moins on y touche, mieux il se porte. Cette vendange et ce vin ne méritent aucune intervention. Suivre le vin, voilà le grand art. Au Domaine Henri Giraud, 2018 sera aussi l’année de la vinification « Vendange Entière » (vendange directement mise en cuve sans que le raisin soit séparé de la rafle) sur les petits pinots d’Aÿ. Nous les avons amenés plus loin que le pic de maturité, juste avant la dessiccation. Les pépins bruns/marrons craquaient sous la dent avec un arôme de noisette et les rafles brunies se cassaient sous le poids. La qualité de la mise en œuvre est essentielle pour ce type de travail artisanal : tri positif à la vigne pour ne pas blesser les baies sur la table, travail par gravité pour ne pas triturer les grappes, macération à froid (10/12°) et un minimum d’intervention pour éviter de déstructurer les baies. Maintenant il suffit de laisser infuser comme pour les grands Bourgognes.«
