Bordeaux Primeurs 2023: Premium ou First Class?

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La campagne des Primeurs de Bordeaux 2023 a démarré cette semaine. Le choix des plus grands châteaux pour ces primeurs 2023 n’est pas simple. Ils subissent des pressions de toute part et doivent faire un choix cornélien: continue t-on le voyage en first class ou passons nous à la premium? La décision n’est pas anodine pour ces marques car il est ici question de faire le choix entre la création ou la destruction de valeur.

Le Luxe est un modèle bien distinct de celui du Premium. Il s’agit également d’une approche complètement différente. La réussite du modèle Luxe repose sur le maintien d’une offre bien inférieure à la demande, sur une distribution très sélective et sur le fait de ne jamais vendre au rabais. Parce que le grand vin n’est pas un article de mode, le grand vin est un luxe intemporel. Les véritables marques de luxe créent des icônes intemporelles qui ne se démodent jamais et dont la valeur s’apprécie avec le temps.

Au moment où le monde du luxe continue de monter les prix de ses produits iconiques tout en adoptant de nouvelles stratégies pour répondre aux attentes des consommateurs dans une conjoncture nouvelle, de grands noms de Bordeaux font le choix du discount pour leurs vins iconiques. Lafite Rotschild -30%, Leoville Las Cases -40%…Nous parlons ici de leurs fleurons, de leurs signatures iconiques qui représentent le mieux l’excellence, les valeurs et l’histoire du château, en un mot la marque.

Faire des discounts majeurs peut paraître étrange alors que les vins n’ont jamais été aussi bons et que finalement l’effet millésime est de moins en moins perceptible quand on les déguste dans leur jeunesse. Et on le sait, aujourd’hui, ces grands vins n’ont plus le temps de vieillir, ils sont proposés jeunes car les revendeurs et notamment les restaurants n’ont plus les moyens de les laisser vieillir en cave. A cela se rajoute le fait que les fans de grands Bordeaux comme moi, avec 20 ou 30 ans de vieillissement, se font de plus en plus rares. Je suis d’ailleurs le premier à le regretter car la magie des grands vieux vins de Bordeaux est une expérience fabuleuse.

L’effet millésime est donc une raison qui devient de moins en moins audible pour expliquer de fortes baisses de prix. J’aime 2023 et je ne pense pas qu’il soit 40% moins bon que le 2022. Loin de là! Est ce que la conjoncture économique pourrait être une autre bonne raison? Dans cette même conjoncture, Hermès, Chanel ou Louis Vuitton continuent de monter les prix de leurs produits iconiques. Pourquoi pas les grands vins? Enfin, l’ultime raison: la pression des négociants, des acheteurs, des clients? En tant que consommateur, je voudrais que les produits de Hermès ou de Brunello Cuccinelli soient 40% moins chers tout au long de l’année, ainsi que les cosmétiques d’Estée Lauder et les montres Omega. Est ce que si nous sommes nombreux à en faire la demande, les marques feront la démarche sous la pression? Non. Les marques imposent leur prix, un point c’est tout.

Dans le monde du luxe, les marques ont du s’adapter bien evidemment et les challenges ont été et restent nombreux: mettre en place la bonne stratégie de distribution, exploiter le potentiel du marché secondaire, se positionner face à la premiumisation du marché, attirer avec succès les nouvelles générations et les femmes…Des challenges auxquels les grands noms de Bordeaux doivent faire face tout en travaillant aux côtés de la Place de Bordeaux lorsque ces challenges concernent la distribution. Car ce n’est pas la fin de la place de Bordeaux comme je peux l’entendre dire. Bien sûr que non! En revanche cette campagne Primeurs 2023 sonne la fin d’une ère, ça c’est une évidence. La place de Bordeaux a fait un travail extraordinaire depuis le début de son histoire pour bâtir des marques et des noms reconnus dans le monde. Mais ce n’est plus suffisant aujourd’hui. Comme tous les grands noms du Luxe l’ont fait depuis cette dernière décennie en reprenant en main leur réseau de distribution et en faisant évoluer leurs marques, il faut repenser cette distribution en incluant le négoce bordelais et en étant beaucoup plus dynamique sur les marques. Le luxe est pure création de valeur. Les marques de luxe ont besoin de produits iconiques qui soient au coeur des rêves des clients pour les amener à se dire : « Un jour, je m’achèterai une bouteille de Romanée Conti, de Vega Sicilia, de Sassicaia ou de Petrus ». Travailler le rêve et la désirabilité pour finalement nous faire craquer même si le prix est élevé. C’est là dessus que les grands vins de Bordeaux doivent travailler ainsi que les plus grands vins du monde. Afin de garder la main sur les prix, de continuer à créer de la valeur et de ne pas tomber dans le discount façon « premium » mais de poursuivre le voyage en first class.

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