2014, le Millésime imprévisible?

Maison M. Chapoutier

Au premier jour des Vendanges en Vallée du Rhone, la Maison M.Chapoutier a diffusé son Récit de Vigneron d’une Année 2014 surprenante à de nombreux égards…En voici le récit:

« Dans le sud, les vœux du jour de l’An se font sur les terrasses. Cela laissait déjà présager un hiver doux. On ne s’y trompait pas, après 15 jours de froid relatif mi-décembre. C’est de la douceur, et encore de la douceur, que nous offre cet hiver de janvier et de février. La taille débuta le 18 janvier (au moment de la cristallisation Steinerienne) sous un soleil rarement observé dans notre secteur nordiste. Mars 2014: Alors que l’on voit éclore le long du Rhône les premières fleurs d’abricotiers avec un mois d’avance, on se demande ce qu’il va en être dans le vignoble. Premiers paris sur un millésime précoce: un 2003?

Le mot est lancé. La vigne nous offre ses premiers pleurs. Puis un débourrement qui arrive vers le 20 mars et qui confirme 3 semaines d’avance. Du nord au sud, c’est la même chose. Avril, Mai: Et la saison débute! Le végétal pousse, les fleurs arrivent et malgré un petit épisode de fraîcheur, tout se passe bien et l’on observe assez tôt une belle sortie de grappes. Sur Châteauneuf du Pape, on attendra que la nouaison soit passée pour dire Alléluia ! Dans le Sud, la récolte s’annonce prometteuse mais s’il y a bien un cépage qui peut être capable de nous priver d’une grosse partie de sa récolte par simple caprice, c’est bien le grenache et sa coulure… Mais là, tout accroche. Et la nouaison se passe très bien. Mai, Juin: On manque d’eau, les pluies printanières sont absentes, on s’interroge, on commence à s’inquiéter d’un stress hydrique, la vigne pousse, les grappes sont là, il fait chaud, sec, c’est le paradis…. Les travaux d’attachage s’enchaînent puis l’épillonage. En même temps on reste vigilant, car autant de tranquillité à ce stade végétatif de la vigne est anormal. Le vignoble est beau, sain et tout se passe bien. Trop bien ?

Durant le mois de Juin, on s’inquiète: Il fait trop chaud et on manque d’eau. Du nord au sud, d’Ampuis à Latour de France, on surveille que notre vigne ne stresse pas. On envisage un 2003, on décale des congés et on donne pour consigne d’être disponible au 18 août au cas où… Sur certaines AOC on se demande s’il ne faut pas déclencher un plan d’irrigation exceptionnel. A Latour de France, on observe quelques parcelles en stress hydrique, mais sur Châteauneuf aussi les jeunes vignes accusent le coup. Sur Mirabel, notre domaine en Ardèche, le basalte et le calcaire rappellent leur dureté en engendrant déjà quelques symptômes de stress hydrique. On décide de s’abstenir de faire notre célèbre « Coufis », le vin de paille de viognier de l’Ardèche, par inquiétude sur le stress de la vigne. Nous devons rester vigilant, il faut se mobiliser. Début Juillet, arrivent les premiers symptômes d’échaudage sur Mirabel, sur Tain l’Hermitage et sur Ampuis. Alors on adoucit cette chaleur par des tisanes de Consoude, de camomille ou d’Achillée. Le 14 juillet arrive la pluie du nord au sud et c’est le début de la saison où le vigneron doit accompagner sa vigne et lutter. Des pluies qui s’enchaînent avec des journées ensoleillées, une cadence de traitement biodynamique se met en place: Rhubarbe, bourdaine, argile pour assécher. Le 25 Juillet, une partie de l’équipe est en congés. Le samedi 26 juillet, même pas le temps de préparer ses valises que voilà un orage de grêle qui arrive vers 14 heures. Déclenchement de traitement d’urgence, à l’argile, pour sécher et cicatriser les blessures des grappes. Lundi matin, on finit les secteurs puis va s’ensuivre une semaine de pluie. Pour le mois d’Août, on annonce 90% de pluie supplémentaire à un été normal. Et c’est vrai. La vigne ne stresse plus, elle pousse, pousse, on écime. Le 15 août, sortie de mildiou. D’une rare puissance. On est en alerte maximale. On écime. On écime encore pour assainir le milieu. Mais, chaleur et pluie font que nos ennemis minuscules sont là. La pression monte encore d’un cran. Là, plus le choix: on décide de faire de la prévention, on élimine les grappes à risque, on assainit ainsi le vignoble en se disant qu’il faut aller au bout car on est encore loin de la maturité.

Les anciens ont toujours dit que c’était septembre qui faisait le millésime. En guise d’exemple, le mois d’août le plus froid reste 1989 et il a été sauvé et construit par le mois de septembre pour en faire un millésime de légende. Du nord au sud, on écime, on effeuille. A Latour de France, les gens nous regardent avec curiosité: ils effeuillent? D’ordinaire sèche, trop sèche, la saison fut humide et a pris au dépourvu les autochtones. Alors nous, nordistes dans l’âme, nous appliquons en Roussillon les méthodes Tainoises. Il n’y a plus de temps à perdre: cela doit mûrir, surtout que la récolte est prometteuse. Le 25 Août, on passe au beau. Beau soleil, chaud, début Septembre, les 30 degrés sont enregistrés. Nos travaux de prophylaxie portent leurs fruits. Le vignoble est sain et les raisins mûrissent à leur rythme, sous un soleil exceptionnel. Il n’y a plus d’avance mais on s’émerveille sur le coteau de l’Hermitage du doré de la Marsanne et des arômes qui se dégagent à la dégustation de nos vignes du Méal et de Chante Alouette. On imagine sur le Clos à Saint-Joseph la puissance qui va sortir de ces baies dont la peau s’affine. On tourne, on retourne, on observe, on surveille et ce soir on s’offre une pause. On est béni par ce temps et on souhaite que cela dure car il reste encore 3 semaines. Ce soir on espère que tout va bien se finir. Notre vigilance et notre réactivité a permis de se sortir d’une situation complexe. Lundi 8 Septembre 2014, on attaque ! On débute ce millésime surprenant par notre Méal blanc, la descente de ce coteau s’annonce exceptionnelle avec un 14.5° naturel annoncé. C’est le début de la dernière étape, nous sommes prêts et sereins grâce au travail que nous avons mis en place pour obtenir une récolte saine. Ce millésime 2014 est bel et bien surprenant! »

(Ecrire à VitaBella info@vitabella.fr)