Désirabilité et Exclusivité: Le Marketing d’un Grand Vin

Guillaume Jourdan Vitabella Wine

(Ce post « Désirabilité et Exclusivité: Le Marketing d’un Grand Vin » a été rédigé par Guillaume Jourdan. Contactez le à info@vitabella.fr ou via LinkedIn)

Avez vous déjà entendu parler de « l’effet Veblen »? L’économiste Thorstein Veblen a démontré que lorsqu’un bien de luxe n’était pas assez cher, qu’il ne reflétait donc pas assez un certain positionnement haut-de-gamme, sa demande restait faible. Est-ce cette théorie qui a poussé certains grands vins à augmenter fortement leurs prix ces dernières années? Difficile à dire mais le constat que fait le journaliste anglais Andrew Jefford dans son article « Why I’m giving up on the best wine » publié lundi sur www.decanter.com est sans équivoque: « The best is overpriced », les meilleurs vins sont trop chers. Aujourd’hui, il laisse aux autres le plaisir d’acheter les vins les plus chers, notamment à ceux qui gagnent « un minimum de £91,300 par an ».

Que révèle cet article ? La problématique centrale pour moi est celle de la valeur perçue de la bouteille par le client. La désirabilité est au coeur du problème soulevé par le journaliste. Et l’expérience que nous avons en marketing de Luxe dans le monde du Vin m’amène à faire 2 remarques:

1ère remarque : Les grands vins ne sont pas achetés (que) par les personnes qui gagnent un minimum de £91,300 par an. Très grossièrement, il y a 3 types de cibles sur lesquelles nous travaillons pour les marques de Vin de Luxe: 1) Une frange de la clientèle qui manifeste l’envie de se différencier par rapport aux autres consommateurs. Ils sont fortunés en effet, ce sont ceux dont parle très justement Andrew Jefford 2) Les passionnés qui, au même titre que pour toutes les autres passions (montres, voitures…), sont prêts à se sacrifier pour acquérir une ou plusieurs bouteilles de ces grands vins. Ils ont un certain poids dans les achats de grands vins. 3) Les autres consommateurs qui peuvent désormais, eux aussi, accéder à des produits de luxe pour des occasions spéciales. Ici le consommateur va arbitrer entre l’achat d’un grand vin ou d’autres cadeaux d’un même prix pour faire plaisir ou se faire plaisir.

2ème remarque : OUI « The best is overpriced » car à ce prix, pour moi, trop de grands vins aujourd’hui manquent encore de désirabilité pour conquérir une nouvelle clientèle beaucoup plus fortunée. A ceci, j’ajouterai que ces grands vins n’entretiennent pas assez de relations privilégiées et uniques avec leur cœur de cible, très souvent une clientèle riche cosmopolite, internationale et nomade.

A vrai dire, tout cela n’est pas simple car il est beaucoup plus facile de positionner un nouveau vin que de repositionner un vin qui a déjà une histoire. Augmenter fortement le prix d’un vin qui a une longue histoire – aussi grand soit-il – n’est pas chose aisée. Le contexte est bien entendu essentiel car une nouvelle augmentation des prix peut représenter un risque important pour la fidélisation de sa clientèle. Entre « effet Veblen » et subtil dosage entre « exclusivité » et « désirabilité », les marques de Vin doivent penser leur stratégie Marketing international car on ne devient pas l’une des marques de Vin les plus « exclusives » et les plus « désirables » en opérant une simple augmentation de prix.

Ce que révèle cet article est que des amateurs de Vin ont perdu toute désirabilité pour des bouteilles aux prix très (trop) élevés. Au delà de la qualité intrinsèque du vin, c’est la désirabilité qui doit prédominer dans le monde des grands vins comme dans tous les autres produits de Luxe. Si le monde des vins Ultra-Luxe est une niche à part car il correspond aux vins produits en quantités très limitées (voir la Bourgogne comme exemple avec quelques centaines de bouteilles produites par an pour certains vins), les grands vins doivent reconquérir le coeur de ceux qui ne veulent plus acheter les « meilleurs vins ». Cela passe bien évidemment par un investissement important dans le Marketing mais le jeu en vaut la chandelle: les meilleurs afficheront les plus belles marges de leur secteur. Dans le Luxe, on parle de marge brute comprise entre 25 % et 35 %. Pas mal non?